Observatoire volcanologique et sismologique de la Guadeloupe (OVSG-IPGP)


Adresse
Le Houëlmont, 97113 Gourbeyre, Guadeloupe
La Soufrière en direct
Cliquez sur la station sur la carte en bas de page pour afficher la webcam.
L’Observatoire Volcanologique et Sismologique de Guadeloupe (OVSG) est l’un des quatre observatoires volcanologiques dédiés à la surveillance des volcans actifs français (Soufrière de Guadeloupe, Montagne Pelée en Martinique, Piton de la Fournaise à la Réunion, volcanisme sous-marin au large de Mayotte). Cette surveillance s’effectue sous la responsabilité de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), Grand Établissement de recherche et d’enseignement supérieur dans tous les domaines des Sciences de la Terre.
Les effectifs permanents (hors missionnaires) de l’OVSG varient de dix à vingt agents, incluant des enseignant- chercheurs, chercheurs, ingénieurs et techniciens, dépendant du Corps National des Astronomes et Physiciens (CNAP), du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et de l’IPGP.
C’est à partir de 1950 que s’organise l’observation pérenne de La Soufrière. La propriété du Parnasse, située au pied du volcan, sur les hauteurs la commune de St Claude, est achetée le 21 mars 1950 et devient une base avancée de l’IPGP. Le Laboratoire de physique du Globe est ainsi créé. Sa proximité avec le volcan lui permet de développer un travail de terrain. Dès 1950, deux sismographes sont installés au Parnasse. Une cave sismique est creusée en 1952 et équipée de deux sismographes électromagnétiques en 1956. Cette même année a lieu une éruption phréatique.
Aussi, à partir de 1962, le département participe au développement d’une structure mieux dotée en moyens. En 1964, un véritable réseau sismique est mis en place. Les stations étaient alors reliées à l’observatoire par câbles et il faut attendre 1975 pour voir les premières télétransmissions. Néanmoins, c’est grâce à ce réseau que put être détectée la crise sismique de la Soufrière et que fut envisagée dès mars 1976 l’éventualité de manifestations de surface.
Lorsque la région Saint-Claude / Basse-Terre est évacuée en juillet-août 1976, l’observatoire est installé dans la Grande Poudrière du Fort St-Charles à Basse-Terre. Les réseaux de surveillance y resteront pendant 17 ans, tandis que le laboratoire de géochimie et l’administration retournent au Parnasse à l’issue de la crise.
En 1977, Le laboratoire devient l’Observatoire Volcanologique de la Soufrière. Toutefois, la proximité immédiate avec le volcan est remise en cause. En 1989 commence alors la construction d’un observatoire moderne au sommet du Houëlmont, situé à 9 km au sud-ouest de la Soufrière. Cet emplacement privilégié, à vue du volcan, facilite la réception des données par transmissions hertziennes.
En 2001, en raison de son implication toujours plus importante dans le domaine de la sismologie et des recherches liées au risque sismique, l’IPGP rebaptise l’observatoire de son nom actuel : Observatoire Volcanologique et Sismologique de Guadeloupe.
Les missions confiées à l’observatoire de Guadeloupe sont les suivantes :
1- Surveillance de l’activité volcanique de la Soufrière de Guadeloupe par le biais de l’enregistrement de séries temporelles de données géophysiques et géochimiques de qualité, complétées par des observations visuelles de la phénoménologie dans le but de :
- comprendre le fonctionnement du volcan ;
- détecter un changement de comportement et l’évaluer en terme de potentiel éruptif ;
- informer les autorités responsables de la protection des personnes et des biens.
2- Surveillance de la sismicité régionale (Guadeloupe et ses îles proches) liée à l’activité tectonique de l’arc des Petites Antilles par le biais de l’enregistrement continu de la sismicité, dans le but de :
- avertir les autorités des caractéristiques d’un séisme ressenti et des répliques qui peuvent y être associées ;
- établir sur des longues durées les caractéristiques spatio-temporelles de la sismicité régionale et locale pour contribuer à la zonation du risque sismique.
3- Favoriser et participer aux travaux de recherche fondamentale et appliquée en géophysique, géochimie, et géologie concernant le volcanisme, la sismologie et la tectonique régionale, y compris dans le cadre de coopérations régionales.
4- Contribuer à l’information préventive et à la divulgation des connaissances dans les domaines du risque volcanique et du risque sismique, ainsi qu’à la formation en matière de volcanologie, géologie, géophysique et géochimie.
Le complexe de la Grande Découverte-Soufrière est composé de trois stratovolcans, Grande Découverte, Carmichaël et Soufrière, qui se sont construits durant les derniers 445 000 ans. La Soufrière est l’édifice le plus récent et son histoire a débuté il y a environ 9150 ans. Il s’agit d’un volcan actif, de type explosif, ayant connu de nombreuses éruptions magmatiques et non-magmatiques, dites « phréatiques », par le passé.
La dernière éruption magmatique majeure, qui date du XVIe siècle (1530 ± 30 ans ; Komorowski et al., 2008) a conduit dans sa phase finale à la formation du dôme actuel. Les reconstitutions et modélisations récentes montrent qu’elle a commencé par un écroulement partiel du flanc du volcan avec une avalanche de débris qui a atteint la mer au niveau de Basse-Terre. Il a été suivi d’une explosion plinienne modérée avec une colonne de gaz et de particules solides atteignant 10-12 km d’altitude, des retombées de ponces atteignant environ 6 cm d’épaisseur à Saint-Claude, et des coulées pyroclastiques dans les vallées radiales jusqu’à des distances de 5-6 km du dôme. L’éruption s’est terminée par la construction du dôme actuel de la Soufrière associée à la mise en place de coulées pyroclastiques dans les vallées radiales.
Depuis, les éruptions qui se sont produites ont été uniquement phréatiques impliquant une décompression explosive du système hydrothermal et l’éjection de matériaux anciens du volcan sans apport de magma nouveau. Ces éruptions ont été majeures en 1797-98, 1836-37 et 1976-77 et mineures en 1690, 1809-1812, et 1956. Les phénomènes associés à l’activité non-magmatique dite phréatique incluent des explosions verticales et latéralement dirigées, des retombées de cendres et de blocs, des écoulements pyroclastiques non-magmatiques, des coulées de boue, du dégazage acide pouvant contaminer l’environnement. Les éruptions non-magmatiques majeures peuvent également engendrer des effondrements partiels de l’édifice et la mise en place d’avalanche de débris sur quelques kilomètres de distance.
Depuis 1992 et la réactivation du Cratère Sud, l’activité fumerollienne n’a cessé d’augmenter lentement d’année en année avec en particulier l’apparition d’HCl en 1998. Après la réactivation du gouffre Tarissan en 2000, du gouffre Napoléon en 2003, du gouffre 56 en 2007, de 2 fumerolles le long des fractures Lacroix en 2011 (entre le cratère Sud et le gouffre 56), d’une zone du gouffre Breislack en 2013, une nouvelle fumerolle est apparue au sommet en juillet 2014 : la zone Napoléon Nord (Figure 1.1). Cette zone fumerollienne a continué de s’étendre, associée à la progression d’une anomalie thermique (>50 °C au sol). En 2016 l’apparition d’une nouvelle fumerolle nommée Napoléon Est en février (Figures 1.1 et 1.2) marque une étape majeure de l’évolution du sommet. Depuis le début de l’année 2018 nous assistons à un processus cyclique d’injection de gaz magmatiques profonds à la base du système hydrothermal à une profondeur entre 2 et 3 km sous le sommet. Ceci engendre un processus récurrent de surchauffe et de surpression du système hydrothermal qui se traduit par: 1) des perturbations de la circulation des fluides hydrothermaux; 2) l’évolution de l’activité des fumerolles au sommet qui a produit par le passé occasionnellement (au moins en février 2016, novembre 2021, mai 2022) des projections de boue brûlante et acide ou une poussière fine sur quelques mètres pour au moins 2 fumerolles (Cratère Sud Nord ; NapE1); 3) une augmentation de la sismicité volcanique en essaim; 4) quelques séismes volcaniques ressentis (quatre entre février et avril 2018) dont un séisme de magnitude M4.1 le 27 avril 2018, le plus fort depuis 1976; 5) des déformations horizontales de faible amplitude et limitées au dôme de La Soufrière de l’ordre de 3 à 7 mm/an et la poursuite de l’ouverture des fractures sommitales; 6) la fluctuation des débits du gaz fumerolien issus d’un réservoir hydrothermal pressurisé; 7) une progression des anomalies thermiques dans le sol au sommet de La Soufrière. Si ces phénomènes incitent l’observatoire à la vigilance instrumentale, ils ne sont pour l’instant pas clairement associés à une anomalie des autres paramètres de surveillance qui pourrait indiquer une éventuelle remontée de magma. Cette dernière se manifesterait typiquement, mais pas systématiquement, par des séismes profonds et/ou ressentis plus nombreux et plus énergiques, des déformations de plus grande amplitude au-delà du dôme, et l’émission de gaz soufrés à haute température (> 150°C). La probabilité d’une activité éruptive à court terme reste faible. Cependant, compte tenu du regain d’activité sismique et fumerolienne enregistré depuis février 2018, un changement de régime du volcan a été constaté tel qu’on ne puisse pas exclure une intensification des phénomènes dans le futur. En conséquence, l’OVSG-IPGP est en état de vigilance renforcée.
L’arc insulaire des Petites Antilles résulte du plongement de la plaque Amérique sous la plaque Caraïbe, à une vitesse de convergence de 2 cm/an. Elle provoque une déformation de la limite de ces plaques, faisant de l’archipel de Guadeloupe une région à forts aléas volcanique et sismique. Certains séismes sont directement liés aux processus de glissement entre les deux plaques. D’autres, plus superficiels, résultent de la déformation de la plaque Caraïbe. D’autres encore résultent de la rupture de la plaque océanique plongeant sous la Caraïbe. Durant la période historique, plusieurs séismes ont causé des dégâts et victimes en Guadeloupe (intensités supérieures ou égales à VII) : 1735, 1810, 1843 (destruction de Pointe-à-Pitre), 1851, 1897, 2004 (Les Saintes) et 2007.
La mutualisation des données sismologiques entre les partenaires régionaux des Petites Antilles, le SRC de l’Université de Trinidad et Tobago, le KNMI des Pays Bas, l’Observatoire Volcanologique de Montserrat, l’USGS, le PRSN de l’Université de Mayaguez à Porto Rico, les OVS des Antilles de l’IPGP, permet de construire un réseau à l’échelle de l’arc. Les données de chaque station de ce réseau sont reçues à l’OVSG, soit par satellite, soit par Internet. Ainsi depuis 2009, la localisation des séismes se fait à l’échelle de l’arc. Cet effort améliore considérablement notre vision de la sismicité, maintenant à l’échelle pertinente de l’objet géologique majeur de la région, pour améliorer la compréhension des processus sismotectoniques et volcanique de la subduction antillaise.
Foire aux questions
Vous trouverez ci-dessous dix questions-réponses faisant le point sur l’état de l’art des connaissances sur le volcan de la Soufrière de Guadeloupe.
La formation des îles des Antilles et le volcanisme actuel de la Soufrière sont liés à la plongée de la plaque Amérique sous la plaque Caraïbe.
Trois types d’éruption sont possibles :
Eruption hydrothermale
Elles résultent de l’expansion très rapide de l’eau hydrothermale en vapeur sans sans besoin d’un apport de chaleur ou de fluides magmatiques. Elles génèrent des projections de cendres et de blocs arrachés à l’intérieur du volcan, de la vapeur acide, de l’eau bouillante. En fonction de la quantité de matériel solide et d’eau liquide elles peuvent déclencher des coulées de débris.
Eruption phréatique
Elles sont produites par l’expansion explosive des eaux souterraines due à l’arrivée soudaine de chaleur et de gaz provenant d’une intrusion de magma (ou de fluides magmatiques) à faible profondeur (< 1000 m sous la surface). Elles sont parfois décrites comme des éruptions magmatiques avortées car le magma n’arrive pas jusqu’à la surface, mais réchauffe les eaux souterraines qui se vaporisent brutalement. La pression monte, comme dans une cocotte-minute, pouvant entraîner de violentes explosions, allant jusqu’à fragmenter et éjecter une partie des roches constituant le sommet et l’intérieur du volcan. Des séismes volcaniques ressentis, des retombées de cendres et des projections de roches, des émanations de gaz, des écoulements pyroclastiques aussi appelées « nuées ardentes » (avalanches incandescentes de gaz, de cendres et de blocs de roches), des écroulements partiels de flancs, ou encore des coulées de débris (lahars) peuvent y être associés ;
Eruption magmatique (généralement toujours précédée d’une éruption phréatique)
Le magma remonte jusqu’à la surface, avec pour conséquences possibles là encore des séismes volcaniques ressentis, des retombées de cendres et des projections de roches, des écoulements pyroclastiques, des écroulements partiels de flancs, des émanations de gaz et des pluies acide, des coulées de débris (lahars) mais aussi la formation d’un dôme de lave, voire des coulées de lave.
Histoire éruptive : Le volcan de la Soufrière de Guadeloupe occupe l’extrémité sud de Basse-Terre, la moitié occidentale de l’île de la Guadeloupe. Il s’agit de l’édifice actif le plus récent du complexe volcanique Grande Découverte-Soufrière (GDS), composé de trois volcans composites, Grande Découverte, Carmichael et Soufrière, qui se sont construits au cours des 0,445 millions d’années passées sur les flancs sud du volcan composite Sans Toucher plus ancien (environ 0,8 à 0,5 Ma). Au moins 4 éruptions pliniennes majeures, pouvant former des caldeiras, se sont produites dans le complexe GDS, l’événement le plus récent étant daté d’environ 0,042 Ma (éruption andésitique de la Pintade). La Soufrière est l’édifice le plus récent et son histoire éruptive a commencé il y a environ 9 150 ans. Au moins 15 éruptions magmatiques holocènes (9 éruptions de dômes de lave et 6 éruptions explosives pliniennes à sub-pliniennes) ont été identifiées. L’éruption magmatique majeure multi-phases la plus récente, en 1530 ±10 cal. CE, a commencé par l’effondrement de l’édifice pour culminer par une phase sub-plinienne et finalement par la mise en place de l’actuel dôme de lave. Des études récentes ont montré qu’une petite éruption magmatique s’est produite en 1657 ± 20 Cal. CE.
La Soufrière est caractérisée par un taux exceptionnel d’au moins 9 effondrements d’édifices au cours des 9 150 dernières années, qui ont provoqué des avalanches de débris, principalement vers le sud-ouest, sur des distances de 9 à 15 km. La plupart sont associées à des explosions latérales dirigées du magma contenu dans l’édifice ou du dôme en surface qui ont généré des écoulements pyroclastiques de haute énergie très turbulents et dévastateurs (blast en anglais) qui ont atteint jusqu’à 7-9 km de distance du sud-ouest au sud-est de La Soufrière.
Des principales 4explosions phréatiques et 2 hydrothermales qui se sont produites depuis 1635 de notre ère dont celles en 1690, 1797-1798, 1809-1812, 1836-1837, 1956, l’éruption de 1976-1977 a été la plus violente et a entraîné l’évacuation de plus de 70 000 personnes pendant plusieurs mois. Depuis 2016, plusieurs émissions mineures de cendres et de petits fragments de roche sur des distances allant de 5 à 15 m ont été identifiées dans la zone sommitales autour du Cratère Sud et de la fumerolle Napoléon Est NAPE1, le dernier en date du 09-01-2024.
Sur la base de cette histoire éruptive reconstituée qui reste incomplète, les scientifiques ont pu estimer le temps de retour des éruptions magmatiques à environ une éruption par période de 610 ans et celui des éruptions non-magmatiques phréatiques où hydrothermales, (de toute intensité confondue), à environ 1 éruption par période de 39 ans. Mais c’est une moyenne et cela ne veut pas dire qu’une éruption phréatique par exemple est attendue tous les 39 ans et donc qu’elle est, avec certitude, très probable à court terme. D’ailleurs il est important de préciser que les éruptions non-magmatiques de La Soufrière montrent une gamme très large de magnitude, des plus faibles phénomènes tels que ceux observés entre 2016 et 2024 au sommet et qui ont projeté des cendres fines sur un maximum de 5 à 15 m de distance aux manifestations violentes de l’éruption celle de 1976-1977 qui fut la plus importante des derniers 389 ans. Le temps de retour d’une éruption du type de celle de 1976-1977 est plutôt, en moyenne, de l’ordre de 1 éruption par période de 130 ans.
Contrairement aux représentations schématiques communes dans les livres ou les articles scientifiques, les zones de stockage de magmas sont de taille trop petite et leur forme est trop complexe (non-sphérique) pour être imagés par les méthodes géophysiques comme la tomographie sismique classique. Des expériences de cristallisation de magma visant à reproduire la composition minéralogique des laves émises indiquent que les magmas sont stockés entre 5.5 et 8.5km de profondeur sous La Soufrière de Guadeloupe. La comparaison entre produits expérimentaux et compositions naturelles apporte également des informations sur les températures de cristallisation qui varient entre 975-1025°C pour les basaltes et 875-825°C pour les andésites. Le volume du réservoir de magma qui peut arriver en surface (on parle de magma éruptible) n’est pas connu précisément, mais son ordre de grandeur doit être proche du volume des éruptions passées (1-100 millions de m3 voire plus pour certaines éruptions de grande magnitude).
Les scientifiques s’entendent aujourd’hui sur l’existence de systèmes magmatiques transcrustaux à travers toute l’épaisseur de la croute terrestre. Ils sont constitués d’une succession verticale de lentilles subhorizontales de roche partiellement fondue qui contiennent une fraction volumique faible intergranulaire de liquide magmatique susceptible de s’accumuler suffisamment et de manière éphémère pour devenir éruptible seulement dans quelques zones du système magmatique transcrustal. A l’intérieur on ne trouve pas un volume complètement liquide de magma mais plutôt un enchevêtrement complexe de cristaux avec du liquide magmatique présent dans les interstices entre les cristaux, le tout formant un ensemble plus ou moins solide et chaud appelé mush en anglais (mélasse). Ces lentilles de mush sont interconnectées par des conduits subverticaux.
Des travaux récents sur La Soufrière ont permis grâce à des techniques sophistiquées et innovantes d’analyse de l’imagerie sismique de bruit ambiant par matrice de réflexion (Giraudat et al., https://www.nature.com/articles/s43247-024-01659-2) d’imager la partie supérieure du système d’alimentation transcrustal de La Soufrière de Guadeloupe sur 10 km de hauteur avec une résolution sans précédent de 100 m qui permet de confirmer le modèle conceptuel décrit ci-dessus. Les scientifiques travaillent désormais afin de pouvoir déterminer plus précisément la quantité de magma éruptible dans le mush et le localiser au sein du système transcrustal afin de comprendre les liens avec les signaux enregistrés par les réseaux de surveillance en surface. Les incertitudes majeures concernent les transferts profonds de magmas depuis les zones partiellement fondues du manteau, la nature continue ou discontinue de ces transferts, et les mécanismes profonds mis en jeu.
Les eaux de pluie s’infiltrant dans le massif très fissuré de La Soufrière de Guadeloupe sont progressivement chauffées et pressurisées, jusqu’à plus de 300°C et 200 bars à plus d’un kilomètre de profondeur. Ces fluides interagissent avec les gaz magmatiques de haute température (>500°C) dissolvant d’importantes quantités d’espèces soufrées et de gaz acides (HCl) ainsi qu’avec la roche encaissante. En périphérie du système hydrothermal, les fluides sont fortement dilués dans le réseau hydrogéologique superficiel, produisant les nombreuses sources chaudes sur les flancs du volcan avec des températures variant entre 30 et 60°C. Au centre du système, les fluides hydrothermaux de haute-pression et haute-température, peu denses, remontent vers la surface en relâchant d’importantes quantités de vapeur, dont le volume augmente fortement avec la baisse de pression à moins grande profondeur.
Cette augmentation de volume est en mesure de générer des micro-fracturations des conduits à l’origine de la micro-sismicité superficielle. La Soufrière étant très fracturée, et donc très poreuse, cette vapeur finit généralement par s’échapper au niveau des fumerolles, dont le flux parfois élevé témoigne de la pression de vapeur à l’intérieur du volcan. Certains phénomènes peuvent cependant entraver l’échappement des vapeurs. Par exemple, la très forte altération des roches exposées aux vapeurs hydrothermales acides (pH de l’ordre de 1 à 3) produit des phases secondaires (par exemple la silice hydrothermale) capables de colmater les conduits dans lesquels circulent les gaz, ce qui favorise une augmentation forte de la pression dans le système hydrothermal qui peut aboutir au déclenchement d’explosions hydrothermales ou phréatiques.
L’événement le plus à même de déclencher une éruption majeure de la Soufrière de Guadeloupe est l’injection massive de magmas basaltiques chauds (>1100°C) et peu visqueux depuis le manteau. Ce type de phénomène est en mesure de remobiliser les magmas partiellement refroidis et visqueux stockés dans la croûte, et de produire une éruption magmatique de plus ou moins grande ampleur en fonction du volume de magma éruptible mobilisé, de son contenue en gaz, et de sa vitesse de remontée à la surface. Cependant, les transferts de magmas entre les zones de stockage profonds et superficiels de la croute (systèmes magmatiques transcrustaux constitués de mush, (voir question 2) sont accompagnés d’un dégagement de chaleur et de gaz qui sont capables, dans les cas extrêmes, de fortement pressuriser le système hydrothermal sans que le magma arrive en surface, jusqu’à la rupture mécanique des roches et le déclenchement d’une éruption phréatique.
Des processus superficiels peuvent aussi déclencher une éruption de la Soufrière de Guadeloupe. Par exemple, le glissement gravitaire d’un flanc du dôme induirait nécessairement une dépressurisation soudaine du système hydrothermal superficiel, lequel favoriserait la remontée rapide et massive de fluides hydrothermaux de haute pression et haute température. L’obstruction ou colmatage des conduits d’échappement des gaz hydrothermaux favorisée par la très forte altération chimique et mécanique des roches encaissantes peut contribuer à pressuriser le dôme de la Soufrière et favoriser le déclenchement d’explosions hydrothermales. Ces dernières résultent de l’expansion très rapide de l’eau hydrothermale en vapeur, sans nécessairement impliquer l’apport de chaleur ou de fluides magmatiques.
Un séisme majeur ou très proche du sommet peut fracturer les roches qui contiennent les zones pressurisées du système hydrothermal et engendrer une baisse soudaine et drastique de la pression qui pourra déclencher une explosion hydrothermale. Dans certaines situations, des pluies extrêmes peuvent venir colmater les pores de la roche encaissante du système hydrothermal en surface ce qui peut favoriser la mise en pression de zones de faible volume au-delà de résistance mécanique des roches et le déclenchement d’éruptions hydrothermales.
L’extraction des liquides silicatés depuis les régions partiellement fondues du manteau à plus de 30 km sous la Soufrière de Guadeloupe s’effectue sur des échelles de temps de l’ordre de quelques milliers à centaines de milliers d’années. Les fluctuations de régime de ce phénomène lent et profond sont difficilement décelables, mais peuvent conduire à des déstabilisations rapides des magmas accumulés dans les zones de stockage dans la croûte. Par exemple, l’étude des éruptions passées de La Soufrière de Guadeloupe a montré que seulement 12 jours à 6 mois suffisent, dans certains cas, pour déstabiliser le magma éruptible dans le mush des zones de stockage de magma crustal après l’injection de magma mantellique basaltique. Cette déstabilisation produira les premiers signes précurseurs d’une éruption potentielle.
Une fois déstabilisés, les magmas remontent rapidement (vitesse d’ascension de 0.01 à 10 m/s sur les derniers 20 km) vers la surface qu’ils atteignent en quelques heures à dizaines de minutes. Le flux de chaleur et de gaz généré par cette remontée peut déclencher une éruption phréatique avant même que le magma n’arrive en surface lors de la phase magmatique de l’éruption. Tout l’enjeu consiste donc à détecter le plus tôt possible la déstabilisation physico-chimique profonde des magmas qui détermine le « temps zéro » dans le processus d’alerte montante scientifique vers les autorités. Cependant, même si la déstabilisation a débuté, elle peut ne pas aboutir à une éruption magmatique en surface (arrêt de la remonté de magma) bien qu’elle puisse, ou pas, déclencher une éruption phréatique.
Il n’est pas possible de prévoir avec certitude quand, où et comment une éruption se produira, ni son intensité, ni sa durée. Les scientifiques parlent plutôt de capacité à anticiper une éruption, et pas de prédiction ou de prévision, des termes trop déterministes. On peut cependant évaluer l’occurrence d’une éruption magmatique avec une incertitude, c’est-à-dire une probabilité qui peut être estimée. Une remontée de magma profond s’accompagne, dans la majorité des cas, de signaux précurseurs clairement identifiables à plus ou moins long terme avant une éruption tels que l’augmentation de la sismicité, signature sismique spécifique traduisant une remontée de fluides, déformations du sol en surface, gaz soufrés à haute température, y compris sur des volcans comme La Soufrière de Guadeloupe malgré une incertitude intrinsèque sur les temporalités, la magnitude et l’évolution de l’éruption. … Cependant, grâce au progrès de la surveillance instrumentale, les éruptions magmatiques de certains volcans très souvent actifs (par exemple, Le Piton de la Fournaise à La Réunion) peuvent être anticipées avec moins d’incertitude.
En revanche, il existe plusieurs exemples d’éruptions phréatiques (non magmatiques) n’ayant pas été anticipées car elles n’ont pas été précédées de variations majeure détectables des paramètres de surveillance (sismicité, température des fumerolles, composition chimique, déformation). Ainsi, les éruptions de l’Ontake au Japon en 2014, du Te Maari en Nouvelle-Zélande en 2012, ou du Merapi en Indonésie en 2018 n’ont pas pu être anticipées malgré une surveillance permanente. En effet, l’état de l’art de la connaissance des éruptions phréatiques et hydrothermales montre qu’elles sont typiquement fréquentes et soudaines, que leurs signaux précurseurs sont fréquemment absents voire peu nombreux et équivoques, qu’elles se caractérisent par une durée et une intensité très variable, et que les phénomènes associés sont très variés et peuvent s’avérer particulièrement dangereux à proximité. Dans leur très grande majorité les éruptions phréatiques ne sont pas systématiquement suivies par une éruption magmatique. En revanche toute éruption magmatique dont les signes précurseurs sont plus nombreux et marqués sera précédée par une éruption phréatique.
A La Soufrière de Guadeloupe, il est le plus probable que la prochaine éruption magmatique ait lieu à l’aplomb du conduit magmatique actif dans les derniers 10 000 ans, à savoir à l’aplomb du dôme actuel et jusqu’à une distance de 500 m. Cependant, de nouveaux sites de sortie de magma plus excentrés ne sont pas à exclure comme cela a pu être le cas par le passé (dôme Amic, cône de l’Echelle, de la Citerne). Les éruptions phréatiques et hydrothermales peuvent avoir lieu dans la zone sommitale ainsi que dans les différentes zones de fumerolles actives actuelles voire actives dans le passé.
Trois types de scénarios sont envisageables.
Dans le premier, une éruption avec plusieurs pics d’activité connaît des variations avec une période d’accalmie. L’augmentation de l’activité impliquera probablement de manière phasée des séismes ressentis, un effondrement partiel de flanc, des coulées de boue, une exposition aux gaz soufrés et acides et des retombées de cendres suite à de petites émissions de cendres plus ou moins explosives et latéralement dirigées, de petits écoulements pyroclastiques.
Le second implique une éruption avec un développement lent dans le temps et dont le paroxysme a lieu en fin de crise. Dans ce scénario, la phase la plus violente a lieu vers la fin de la crise et la montée en puissance progressive des paramètres justifie une évacuation pouvant se dérouler sur une durée supérieure à 24h.
Le troisième consiste en une éruption avec un développement très rapide dans le temps et dont le paroxysme a lieu en début de crise. Dans ce scénario, l’intensité d’activité volcanique est élevée avec une escalade très rapide des paramètres enregistrés : l’éruption paroxysmale la plus violente a lieu vers le début de la crise, dans un délai de 24h. En effet, dans 42% des éruptions étudiées, la phase paroxysmale intervient 24h après le début de l’éruption, 50% dans la première semaine de l’éruption.
Même si ces éruptions représentent 20% des morts, ceci signifie que 80% des victimes de ces éruptions ont eu lieu après et en dehors des phases paroxysmales.
Depuis la réactivation de la Soufrière en 1992, l’activité sismique, fumerolienne, thermique, et les déformations superficielles du dôme poursuivent un régime fluctuant mais globalement en augmentation, qui reflète une activation croissante du système hydrothermal par la source magmatique. Depuis le début de l’année 2018 nous assistons à un processus cyclique d’injection de gaz magmatiques profonds à la base du système hydrothermal à une profondeur entre 2 et 3 km sous le sommet. Ceci engendre un processus récurrent de surchauffe et de surpression du système hydrothermal. Depuis 2023, le déséquilibre entre le flux de chaleur profond et la quantité d’eau disponible dans le système hydrothermal se traduit par une augmentation sans précédent de la température des fumerolles (dépassant 200°C au Cratère Sud). Si ces phénomènes incitent l’observatoire à la vigilance instrumentale, ils ne sont pour l’instant pas clairement associés à une anomalie des autres paramètres de surveillance qui pourrait indiquer une éventuelle remontée de magma.
Cette dernière se manifesterait typiquement, mais pas systématiquement, par des séismes profonds et/ou ressentis plus nombreux et plus énergiques, des déformations de plus grande amplitude au-delà du dôme, et l’émission de gaz de composition magmatique. Cependant, la pressurisation du système hydrothermal a dépassé de manière transitoire et on soutenue le seuil de résistance mécanique des roches et de matériaux peux solidifiés très proche de la surface dans plusieurs fumerolles qui ont produit en 2016, 2021, 2022, et 2024 des petites projections de cendres, de boue acide et brûlante, et de petits fragments centimétriques de boue indurée sur des distances de l’ordre de 5 à 10 m aux alentours du Cratère Sud et de la fumerolle Napoléon 1 (NAPE1). Cette activité conjointement à l’augmentation des flux de chaleur, des zones du sol brûlantes et peu stables, et des concentrations en forte augmentation des gaz toxiques tels que l’hydrogène sulfuré (H2S) et le dioxyde de soufre (SO2) ont conduit les autorités responsables de la protection civile à prendre des mesures de mise en sécurité des personnes en 2018 puis en 2022. L’IPGP a aussi amplifié son protocole de mesures de sécurité pour les activités de surveillance et de recherche à l’intérieur de la zone sommitale des fumerolles actives pour ses personnels et les scientifiques associés.
Bien que moins intenses que les éruptions magmatiques, les éruptions non-magmatiques plus fréquentes de La Soufrière peuvent engendrer des aléas très divers (chutes de blocs, retombées de cendres, explosions, écoulements pyroclastiques, émanations de gaz, contamination de l’environnement, coulées de boue, glissements de terrain, explosion latérale dirigée avec souffle) qui présentent des risques non-négligeables pour les populations et les infrastructures. L’activité historique de La Soufrière depuis 1635 se caractérise par des éruptions non-magmatiques, mineures en 1690, 1812, et 1956, et majeures en 1797-1798, 1836-1837, et 1976-1977.
L’éruption phréatique de 1956 a duré dix jours avec deux explosions en surface. Celle de 1976-1977 a été particulièrement violente avec 26 explosions majeures entre juillet 1976 et mars 1977. Elle a produit des émanations de gaz acides, des projections verticales et latéralement dirigées de blocs et de cendres, de petits écoulements pyroclastiques froids de faible volume qui ont peu atteindre une distance de l’ordre de 1 km de distance, des coulées de boue ayant atteint près de 3 à 5 km de distance, et environ 16 000 séismes dont 150 ont été ressentis, dont le séisme de magnitude M4.2 le 16 août 1976. Il s’agissait d’une éruption phréatique voire d’une éruption magmatique avortée, selon les différentes hypothèses, dans laquelle le magma n’est pas remonté jusqu’à la surface.
Les impacts d’une éruption magmatique dépendront du scénario éruptif qui se développera, à savoir la séquence des phénomènes qui suivront, de leur intensité, leur durée et de la durée générale de l’éruption. De plus ces impacts concerneront, avec différents degrés de sévérité, à la fois la zone à proximité immédiate de La Soufrière mais aussi, dans certain cas selon la direction des vents au moment de l’éruption, des zones plus éloignées comme les zones au nord-est de La Soufrière, le Nord de la Basse-Terre, la région pointoise et la Grande-Terre, voire même les îles des Saintes et de Marie-Galante tout comme la région Caraîbe (par exemple Dominique, Martinique).
Il y a deux catégories de gravité d’impact.
1) Les phénomènes qui menacent la vie des personnes et occasionnent des destructions massives aux bâti, aux réseaux systémiques et qui nécessitent des mises en sécurité des personnes : à savoir dans certain cas les séismes volcaniques majeurs, les projections de blocs de roche, les retombées épaisses de cendres, de scories, de ponces au- delà de 15-20 cm d’épaisseur et pouvant atteindre proche du volcan plusieurs mètres d’épaisseur, les gaz volcaniques à proximité du volcan, les écoulements pyroclastiques canalisés ou turbulents (avalanches de blocs et de cendres chauds de 100° à 600° et de gaz qui dévalent les flancs des volcans à parfois 150 m/s, soit envi. 500 km/h, sur 5-10 km de distance voire jusqu’à la mer, les avalanches de débris produites par les glissements de flanc du volcan qui peuvent atteindre > 9 km et la mer, les coulées de débris (lahars) qui peuvent affecter toutes les vallées radiales au volcan et arriver en mer, les tsunamis d’origine volcanique qui peuvent affecter les côtes de la Basse-Terre, les coulées de lave.
2) Les phénomènes qui peuvent occasionner de manière récurrente, occasionnelles, chroniques et parfois sur le long terme pendant plusieurs années des nuisances et des dysfonctionnements sans menacer la vie des personnes ou causer la destruction majeure des infrastructures : à savoir les retombées de cendres de moins de 15 cm de cendres y compris des épaisseurs très fines de quelques millimètres, les panaches distants de gaz volcaniques, les pluies acides, la foudre et les orages électriques. Une éruption magmatique de La Soufrière est susceptible de produire l’ensemble de ces phénomènes même si les coulées de lave sont moins fréquentes sur ce volcan à dominante explosive.
De tous les phénomènes volcaniques, les retombées de cendres se dispersent sur les plus grandes distances, pouvant affecter des zones distantes de plusieurs centaines de kilomètres du volcan avec des épaisseurs jusqu’à quelques millimètres selon l’intensité de l’éruption, sa durée et la direction et vitesse des vents dominants.
Les cendres sont très problématiques car elles engendrent une contamination des eaux potables, le dysfonctionnement des systèmes de traitement des eaux usées, la contamination des cultures agricoles, des problème de santé publique, des perturbations dans le trafic aérien, et des dysfonctionnement de tous les systèmes de circulation d’air qui laissent entrer ces cendres dans le bâti, endommagent les réseaux électriques, perturbent le transport et peuvent occasionner proche du volcan au-delà de 10 cm d’épaisseur, l’effondrement des toits les plus faibles, en particulier si elle sont alourdies par les pluies.
Les modélisations réalisées par les scientifiques montrent que dans certains cas tout le sud de la Basse-Terre pourrait recevoir au minimum 1 cm de cendres et dans des cas défavorables la région pointoise, l’aéroport et d’autres infrastructures dans cette région pourraient être impactée par des retombées de cendres comprises entre 1cm et 1 mm.